Lorsque je me suis
engagé sur le pont qui traverse le Mékong et permet d’atteindre Paksé en venant
de Thaïlande, ou, en l’occurrence, de Champassak, je savais que la ville dans
laquelle je revenais serait très différente de celle dans laquelle j’ai
séjourné au cours des étés 1998, 1999 et 2000 dans le cadre d’un programme de
formation des enseignants de l’Ecole Normale (avec d’autres membres d’une
association étudiante, SoNo). Mais je
n’imaginais pas à quel point Paksé en 2013 est une autre ville. J’ai eu
beaucoup de mal à y retrouver des repères. En redécouvrant cette ville je ne
parvenais souvent plus à déterminer ce qui était réellement nouveau et ce que
ma mémoire avait altéré.
A la fin des années 90,
Paksé était une ville endormie et isolée. Seul un bac permettait de traverser
le Mékong. La route pour Vientiane n’était pas asphaltée et une vingtaine
d’heures de bus, dans des conditions éprouvantes, était nécessaire pour
rejoindre la capitale. L’Internet n’existait pas plus au Laos qu’ailleurs et
seul le fax de l’Ecole Normale permettait d’envoyer/recevoir quelques
nouvelles. Le premier cybercafé – en fait un seul ordinateur portable ramené
par un Franco-Lao – a ouvert en 2000. Les produits alimentaires manufacturés se
limitaient à la bière, aux boissons gazeuses et au lait concentré (pas de
yaourts, de chocolat, etc.) et les vitrines n’avaient pas encore fait leur
apparition. Le premier petit supermarché a ouvert en 2000 ; un mauvais
chocolat chinois à l’huile de palme y était vendu. Les touristes rencontrés
lors d’un séjour de plusieurs semaines se comptaient sur les doigts de la main.
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L’aménagement urbain de
la ville a été complètement modifié. Toutes les rues sont désormais asphaltées; des ronds-points et des feux de circulation aident à réguler la circulation
(encore relativement modeste).
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Un rond-point à Paksé! Près de l'ancien embarcadère pour le ferry qui permettait de traverser le Mékong. Un bateau-restaurant a pris la place du ferry. |
L’activité économique s’est déplacée du
centre-ville historique – à proximité de la jonction entre le Mékong et la rivière
Sédone – vers l’est et le « nouveau marché », près de l’arrivée du « pont Japonais »
sur le Mékong inauguré en 2000. Un nouveau « marché central » vient
cependant d’être inauguré sur l’emplacement de l’« ancien marché ».Ce marché moderne (plutôt un centre
commercial) sur trois niveaux est un investissement de Tang Frères – les mêmes « Frères » d’origine sino-laotienne que ceux installés
avenue d’Ivry à Paris – et s’ajoute à ceux de Vientiane et Savannakhet.
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Tang Frères à Paksé |
L’hébergement
touristique, quasi-inexistant à la fin des années 90, s’est considérablement développé.
Il est essentiellement localisé le long du tronçon de la route n°13 qui passe
devant le Champassak Palace Hotel et rejoint le « pont Français » sur
la rivière Sédone et dans les rues perpendiculaires qui vont vers la rivière. Les
touristes qui font étape à Paksé pour visiter le Vat Phou,
s’aventurer sur le plateaux des Bolavens, ou se diriger vers les Si Phan Don ont maintenant le choix entre une bonne trentaine d’hôtels et
de guesthouses. Pour une dizaine d’Euros il est possible de se loger dans une
chambre propre, climatisée et disposant d’une connexion à l’Internet. Deux
grands hôtels de luxe s’élèvent aussi sur la rive est du Mékong, à gauche et à
droite du « pont Japonais ». L’un est encore en construction ;
il devrait être assez pharaonique.
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L'hôtel à droite du "pont Japonais" |
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L'hôtel en construction à gauche du "pont Japonais". |
Il y a 13 ans le seul
immeuble véritablement moderne et haut de Paksé était celui de la Banque pour le Commerce Extérieur Lao (BCEL, le seul endroit où il était alors possible d’obtenir des Kips avec des chèques
de voyage ou une carte bancaire). Depuis les immeubles ont « poussé comme
des champignons » (dixit Noukone), vers le pont, le long de la route n°13,
etc., et les banques et les distributeurs automatiques de billets sont
omniprésents. Cette frénésie constructrice a même touché le Vat Luang, maintenant
dominé par une résidence de plusieurs étages destinée à accueillir les moines.
Et de l’autre côté de la rue une grande boutique Shiseido écoule de grandes quantités de crème éclaircissante (les laotiennes, et les femmes asiatiques en général,
vouent un culte immodéré aux peaux blanches).
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Le Vat Luang |
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En face du Vat Luang |
Le restaurant vietnamien,
près du Paksé Hôtel (qui a été complètement réhabilité), où les membres de SoNo
venaient souvent dîner existe toujours. Il a maintenant une enseigne – Xuan Mai
– et une carte variée en anglais. En revanche le restaurant Sédone, dans la même
rue, est devenu un cybercafé un peu mort et les tables au bord du Mékong, à la
confluence avec la Sédone, où nous amenions de quoi manger le midi et commandions
des boissons n’existent plus. Mais un continuum de restaurants et de bars
(20 ? plus ?) borde désormais le Mékong entre ce point de confluence et
le « pont Japonais ». Tous arborent une enseigne jaune similaire et sponsorisée
par l’omniprésente Beerlao. De nouveaux cafés Wi-Fi au design moderne, tel le
Bolavens Café, se sont également développés vers le «pont Français»
et servent du café de premier choix (ainsi que des petits-déjeuners
continentaux, etc.).
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L'ancien restaurant Sedone... |
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...et le moderne Bolaven Café où MC & moi prenions notre petit-déjeuner chaque matin |
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Un des hôtel de la rue allant vers le "pont Français", celui où MC & moi avont passé 13 nuits. |
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Ce retour à Paksé fut
l’occasion de revoir certains enseignants et étudiants avec lesquels j’étais en
contact à la fin des années 90. Les trois professeurs de l’Ecole Normale qui aidaient
SoNo à organiser le projet (parce qu’ils pouvaient parler le Français), madame
Noukone et messieurs Khamleu et Siha (les Lao s’identifient avec leurs prénoms)
résident toujours dans les mêmes maisons. Noukone et Khamleu sont désormais retraités
de l’enseignement, mais grâce au développement du tourisme ils ont désormais
une activité de « guides francophones » (tout comme le mari de
Noukone). Siha sera à la retraite dans un an. Après avoir quitté l’Ecole
Normale pour enseigner dans les classes bilingues du collège/lycée Phonexay (comme
Khamleu), il est devenu directeur adjoint du bureau de l’éducation de la
province. Sa femme et lui partagent leur grande maison avec deux de leurs enfants
(dont Li, alias Soukdala), leurs conjoints et leurs petits-enfants. Il a
conservé sa diction si particulière et une bonne descente pour la Beerlao.
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Sur le perron de la maison de Noukone et son mari (à gauche), avec Khamleu, Phonetida et Alina |
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Khamleu n'évalue plus des élèves mais est maintenant évalué par ses clients francophones. |
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Siha avec sa petite-fille, la fille de Li |
Les
(post-)adolescent(e)s que j’ai connus et revus à Paksé sont, logiquement,
devenus des mères et des pères. Seule Phonetida, la lycéenne qui m’emmenait sur
son scooter en 1998-2000 (et m’a cette fois véhiculé dans le 4×4 familial) vit toujours chez ses envahissants parents, change souvent d’emploi, et cherche
l’âme sœur sur le Net.
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Alina, Li, Soonida, Khao, Ya & Mo sur une photo de Noukone qui doit dater de la fin des 90's - début des 2000's... |
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... et Alina & Mo, jeunes mères, en 2013 (et Phonetida) |
Alina (Khay), la fille
ainée de Noukone, bien qu’elle soit ingénieure en génie civile et ait d’abord
exercé dans ce domaine, travaille maintenant comme comptable au département de
la planification de la province. Elle aide aussi son mari dans ses différentes
affaires (agence de voyage, guesthouse, plantation de café, etc.). Alina et son
mari possèdent une maison mais ils la louent à un étranger et habitent dans
l’une des chambres de leur petite guesthouse, parce qu’ils veulent « gagner
de l’argent ». Ils ont un fils de 4 ans quelque peu hyperactif. Noukone
dit que les enfants de la nouvelle génération sont différents, en particulier
parce qu’ils regardent beaucoup de « cartoons ». Son autre
petit-fils, le fils d’Alounna, est tout de même moins agité. Il n’a que deux
ans. Alounna (Lick) est employé par la Coopération japonaise comme traducteur
anglais/lao ; il travaille actuellement sur un projet de formation des
professionnels de santé. Seul Laïlina, le benjamin, habite encore dans la
grande et neuve maison de ses parents, au moins le week-end car il travaille à
Paksong. Il ne devrait pas tarder à se marier mais sa fiancée « vaut
chère » car elle est employée à la BCEL. Le montant de sa dote est élevée
mais Noukone veut négocier, en échange, que Laï et sa femme viennent vivre avec
eux plutôt que chez les parents de sa femme.
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Repas chez Noukone |
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Noukone et ses deux petits-fils |
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Alina et son fils |
La dynamique et enjouée
Mo (Boualapanh) est devenue prof d’anglais à l’Ecole Normale, là même où elle a
été formée. Auparavant elle a aussi étudié (et travaillé au sein de la
communauté Lao locale) en Australie pendant un peu plus d’un an dans le cadre
d’un programme de coopération. Elle est mariée et a un enfant. Soulivanh (alias
Loy) est aussi diplômée de la section d’Anglais de l’Ecole Normale, a un mari
et deux enfants. Elle enseigne aux jeunes enfants des écoles du village SOS de Paksé.
Ecouter ces jeunes femmes modernes raconter leurs plus ou moins grandes
difficultés à concilier leurs vies professionnelles et familiales et leurs
sorties entre amies illustre bien la rapide convergence de leur mode de vie avec
celui de leurs homologues occidentales.
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Avec Mo dans l'un des 20 ou 30 bars-restaurants au bord du Mékong |
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Soulivanh, dans un autre de ces bars-restaurants |
La volubile Soonida a
suivi le même parcours étudiant et professionnel (mais pas familial) que
Soulivanh avant de partir en Australie avec le même programme que Mo. Nous
n’avons donc pu échanger que via Facebook. Il en a été de même avec Ya (alias Vilayvanh,
elle travaille au Ministère de la culture) et Viengsavanh (elle travaille à
l’OMS), les jeunes filles qui vivaient sur le campus avec ou près de mademoiselle
Sisomphone (revue aussi) car toutes deux vivent maintenant à Vientiane avec
leurs maris.
L’extravagant Chaypeth
s’est manifesté sur Facebook mais il n’a pas été possible de le voir en chair
et en os. Il était parait-il trop occupé par son boulot
d’ « inspecteur d’état » (« I inspect the activities of party and
government organisations »?!).
Il est père et divorcé.
Des personnes que j’ai
recherchées à Paksé, Khao est celle que j’ai eu le plus de difficultés à
contacter. Ses deux parents sont décédés, l’échoppe de sa mère en face de
l’Ecole Normale est devenue une pharmacie, mais, selon Noukone et Khamleu, elle
vivait toujours juste derrière, dans la maison familiale, seule avec son frère
(…ou pas, car celui-ci aurait été emprisonné pour consommation de stupéfiants).
La réalité est moins sombre pour Khao (alias Panoy) : elle habite maintenant
à Vientiane, y travaille (médecin) et s’y est mariée au début de l’année.
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Paksé est maintenant
une ville en pleine expansion et ouverte sur le monde. Elle bénéficie de sa
situation géographique privilégiée et, plus généralement, du développement économique
du Laos. Le niveau de vie (PIB en parité de pouvoir d’achat) y a été multiplié
par 2 entre 1998 et 2011. Même les fonctionnaires bénéficient désormais de ce
supplément de revenus. La retraite de Noukone est ainsi passée récemment de
900.000 à 2.200.000 Kips (de 90 à 220€). Le salaire d’enseignante de Mo vient
d’être multiplié par 3 en une année et devrait encore sensiblement augmenter
l’année prochaine.
La croissance
économique ne s’appréhende nulle part mieux que sur les routes. Les voitures
particulières, quasi-inexistantes il y a 13 ans, sont désormais un attribut
indispensable des membres de la nouvelle classe moyenne Lao. Les trois enfants
de Noukone, Mo, Soulivanh… possèdent tous une voiture. Noukone et son mari ne
se déplacent plus que dans la voiture d’un de leurs trois enfants. Les motos et
les scooters restent les plus nombreux mais les tuk-tuks sont devenus rares et ne semblent s’adresser qu’aux touristes. Les vieux bus de ville japonais qui
assuraient très péniblement le service jusqu’à Vientiane et les camions-bus
colorés qui descendaient jusqu’aux Si Phan Don ont disparu et laissé place à
des bus modernes, voire ultra-modernes.
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Bus "VIP" en partance pour Vientiane |
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Le trafic sur la route devant l'Ecole Normale a bien changé |
Paksé reste néanmoins
une ville paisible et peu bruyante. Les embouteillages se limitent à une file de quelques dizaines mètres devant le « pont Français » dont la circulation est alternée. La ville s’endort très tôt, fonctionne au
ralenti pendant les week-ends. Il est toujours possible de siroter
des cafés lao traditionnels (« à la chaussette ») et des Beerlao, de
déguster des salades de papaye verte et du riz gluant, en regardant le Mékong
s’écouler et les Laotiens ne pas se stresser.
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Le "pont Français" sur la Sédone |
avez-vous d'autres photos des bâtiments de l'Ecole Normale (les plus anciens) ... ? peut-être verrais-je celui où j'ai enseigné en 68-69 ...
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